La contrainte au mariage bientôt un délit
Le 27 novembre dernier, lors d’un discours prononcé au colloque « L’abandon des mutilations sexuelles féminines, une histoire en marche », organisé par le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS), la ministre des Droits de la Femme, Najat Vallaud-Belkacem, a annoncé qu’elle préparait « les modifications du Code pénal nécessaires pour interdire la contrainte au mariage, qui n’est pas encore un délit autonome en droit français ».
Sur le site d’information et de prévention des mariages forcés (http://www.mariageforce.fr|www.mariageforce.fr), on peut lire : « Le mariage forcé consiste à marier une personne contre sa volonté. Il est organisé par les familles qui ne respectent pas, voire ne se soucient pas du non-consentement de leur enfant. Les jeunes qui tentent d’y échapper sont très souvent confrontés à une rupture familiale avec tous les dangers et les difficultés que cela peut engendrer ». Pratique très répandue en Europe jusqu’à la fin du XIXe siècle (mariages d’affaires, mariages par intérêt), dénoncée en son temps par Guy de Maupassant via ses nouvelles et romans, elle est de nos jours encore très commune notamment en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe de l’Est.
En France, d’après le GAMS, on évalue à 70 000 « le nombre d’adolescentes de 10 à 18 ans potentiellement menacées, toutes communautés confondues, domiciliées en Île-de-France et dans six départements à forte population immigrée (Nord, Oise, Seine-Maritime, Eure, Rhône et Bouches-du-Rhône) ». Selon la même association, on constate une hausse des mariages forcés dans toutes les communautés où ils sont pratiqués. Cette augmentation s’expliquerait, selon elle, « d’abord pour des raisons démographiques mais aussi administratives : en effet, les jeunes filles nées de la politique de regroupement familial au début des années quatre-vingts arrivent aujourd’hui à l’âge du mariage ».
Si, en France, le mariage exige le consentement mutuel, libre et volontaire des futurs époux (Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, art. 16) et si, quand il est prouvé que l’un ou les époux ont été contraints à se marier, le mariage peut être annulé (C. civ., art. 146 : « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point consentement »), le mariage forcé n’est effectivement pas encore reconnu comme un délit en soi. Quelques dispositions législatives et réglementaires cependant sont destinées à empêcher de tels mariages et sont rappelées sur le site Internet du ministère des Droits des Femmes (http://www.femmes.gouv.fr/?s=contrainte+au+mariage|www.femmes.gouv.fr). Il s’agit de dispositions en partie introduites par les lois du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et du 4 avril 2006 relative à la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.
Dans le premier texte de loi :
- « l’article 63 du Code civil prévoit que la publication des bans doit être précédée de la délivrance d’un certificat médical et de l’audition, obligatoire, des deux futurs époux par un officiel de l’état civil. Cette audition vise à s’assurer de l’intention des deux futurs conjoints. Ces derniers peuvent être entendus ensemble ou séparément. Dans le cas de mariage de mineurs, doit être auditionné le futur conjoint et non son parent ;
- l’article 175-2 du Code civil prévoit la saisine du procureur de la République lorsque des indices sérieux révèlent que le projet de mariage est dénué d’intentions matrimoniales.
Une fois saisi, le procureur dispose de quinze jours pour prendre une décision : il peut alors soit autoriser le mariage, soit décider de surseoir au mariage, pour une durée d’un mois renouvelable une fois, soit s’opposer au mariage. Sa décision doit être motivée et elle est susceptible de recours devant le tribunal de grande instance, y compris par un mineur.
Ces dispositions sont applicables à toute personne se mariant devant un officier de l’état civil français. Une fois l’audition faite, le mariage a lieu si deux conditions posées par le Code civil sont respectées : la présence des deux époux au mariage, ainsi que le consentement donné par les deux époux, et non par un tiers : il n’existe pas en France de mariage par procuration ».
Quant à la loi du 4 avril 2006, les principales dispositions concernant la lutte contre les mariages forcés consistent en :
- l’alignement de l’âge légal du mariage pour les filles sur celui des garçons, soit 18 ans (art. 1er), toute dérogation nécessitant la délivrance d’une dispense d’âge par le procureur de la République ;
- l’allongement du délai de recevabilité de la demande en nullité du mariage (art. 6) ;
- l’extension du délai au cours duquel un mariage célébré sans le consentement libre des deux époux peut être attaqué ;
- la possibilité pour le procureur d’engager une action en nullité du mariage en cas d’absence de consentement libre des époux ou de l’un d’entre eux (art. 5) ; ainsi, un tel mariage peut être attaqué par le ministère public et non plus seulement par les époux ;
- la possibilité de déléguer la réalisation de l’audition des futurs époux (art. 4) ; ainsi l’article 63 du Code civil autorise désormais l’officier de l’état civil à déléguer la réalisation des auditions et des entretiens séparés à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires du service de l’état civil : « avant la célébration du mariage […] l’officier de l’état civil ne pourra procéder à la publication prévue au premier alinéa ni […] à la célébration du mariage, qu’après : […] "l’audition des futurs époux, sauf en cas d’impossibilité ou s’il apparaît, au vu des pièces du dossier, que cette audition n’est pas nécessaire au regard de l’article 146. L’officier de l’état civil, s’il l’estime nécessaire, peut également demander à s’entretenir séparément avec l’un ou l’autre des époux" ».
Sources :
- Loi n° 2003-111 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité
- Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 relative à la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs
- Déclaration universelle des Droits de l’Homme, art. 16 C. civ., art. 146