Le transfert des charges d’instruction des CNI et passeports n’est indemnisable qu’une seule fois !
Est-il possible d’être indemnisé deux fois pour réparation d’un même préjudice ? En droit de la responsabilité, la réponse est évidemment négative, quelle que soit la victime. Le Conseil d’État l’a rappelé afin de clore définitivement le contentieux tiré de l’illégalité du décret du 25 novembre 1999 confiant aux communes la réception des demandes de cartes nationales d'identité, la transmission des dossiers aux services de l'État et la remise des titres aux demandeurs, et du décret du 26 février 2001 leur confiant les mêmes opérations pour les passeports.
Pour limiter le niveau d’engagement de l’État à cet égard, le législateur a introduit dans la loi de finances rectificative pour 2008 un article portant validation d’une mesure rétroactive interdisant aux collectivités de demander réparation par la voie contentieuse. En revanche, une dotation spéciale de 3 euros par titre d’identité, inscrite dans une double limite temporelle (jusqu’au 31 décembre 2008) et financière (dans une enveloppe de 97,5 millions d’euros) est créée par le texte pour accompagner la réorganisation des services nécessaires au transfert de compétence de l’État vers les collectivités. Cet article a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel en 2010. La loi de validation est constitutionnelle car respectant les décisions de justice passée en force de chose jugée, l’existence d’un motif d’intérêt général et la non-rétroactivité pénale du texte, conditions déduites de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Conclusion de ce long parcours contentieux, l’arrêt du 10 décembre 2015 du Conseil d’État exclut du dispositif d’indemnisation transitoire, prévu par la loi de 2008, les communes ayant engagé un contentieux en cours à la date de publication de la loi et celles ayant engagé un contentieux déjà clos à cette date lorsque ces contentieux ont abouti à une condamnation de l'État. Dès lors que l’État a compensé les charges induites par les décrets illégaux, que cela soit par l’effet d’une décision juridictionnelle ou en application de la loi, une commune ne peut pas demander une seconde indemnisation. Le cas d’espèce était particulier car la réparation à laquelle la commune a eu droit ne portait que sur la période allant du 1er janvier 2000 au 31 octobre 2005 pour les cartes nationales d'identité et du 1er mars 2001 au 31 octobre 2005 pour les passeports. Le Conseil d’État refuse d’entrer dans un raisonnement au prorata temporis et exclut une nouvelle indemnisation. Peut-être cette décision s’explique-t-elle par un simple raisonnement financier : la réparation ordonnée par le juge est nécessairement une réparation in integrum, qui est sans doute plus généreuse que la réparation offerte par la loi. La commune requérante a en effet touché plus de 900 000 euros, alors que l’ensemble de l’enveloppe prévue par la loi était de 9 millions d’euros. Demander une réparation supplémentaire, alors que l’équivalent de 10 % de ce qu’offre le législateur a été accordé par le juge, n’est pas du goût de ce dernier. Sources :
- CE, 10 décembre 2015, Commune de Villeurbanne, n° 375581
- Cons. const., 22 septembre 2010, n° 2010-29/37 QPC
- CAA, 28 novembre 2006, Commune de Villeurbanne, n° 06LY00783
- CE, 5 janvier 2005, Commune de Versailles, n° 232888
- Loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008