L’acte d’état civil, porte d’entrée de l’usurpation d’identité
Les chiffres concernant l’usurpation d’identité, en constante augmentation depuis de longues années, ont fait réagir le législateur, notamment par le vote de la loi du 14 mars 2011 qui a créé un délit spécifique et autonome. Si la prise de conscience par les pouvoirs publics est aujourd’hui bien réelle et les auteurs condamnés à ce titre, le temps de la justice – enquête, auditions, demandes de documents probants, etc. – reste long. Et les conséquences pour les victimes sont souvent très lourdes.
Les auteurs de cette infraction ont pour point commun d’utiliser l’acte de naissance d’un tiers afin de se faire établir un vrai titre d’identité (1). Et pour enrayer son expansion, tout l’enjeu consiste, notamment, à sécuriser la délivrance des actes d’état civil (2)… 1. Le titre d’identité, objectif principal des usurpateurs L’article 226-4-1 du Code pénal dispose que « le fait d'usurper l'identité d'un tiers ou de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu'elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne ». Cet article, issu de la loi du 14 mars 2011, crée donc pour la première fois une infraction spécifique d’usurpation d’identité et l’étend dans le même temps aux usurpations commises sur internet : prendre l’identité d’un tiers devient donc une infraction autonome et punissable comme telle. L’usurpateur entend se faire passer pour un autre : pour cela, il a pour objectif la remise d’une carte nationale d’identité (CNI) ou d’un passeport. Une fois le titre sécurisé en poche – titre mentionnant l’état civil de la victime mais avec la photographie de l’usurpateur –, il lui sera alors facile d’ouvrir un compte bancaire, obtenir un prêt, percevoir des allocations, ou tout autre acte imaginable et dommageable pour le véritable titulaire de l’identité volée. Commence alors pour cette dernière une longue période pendant laquelle elle doit répondre des conséquences des actes de l’auteur de l’infraction, comme par exemple rembourser les crédits souscrits ou payer les amendes d’excès de vitesse. De plus, une fois l’usurpation avérée et la plainte déposée, impossible pour la victime de renouveler ses titres d’identité avant que l’enquête ne soit close et l’auteur confondu. Or, eu égard à son degré de complexité, l’enquête peut prendre plusieurs années, parfois cinq ans et plus. Les dommages causés à la victime sont donc d’une gravité exceptionnelle : dettes, blocages administratifs, impossibilité de voyager (pas de passeport), etc. Pour obtenir le titre d’identité, l’usurpateur va devoir déposer un dossier de demande de passeport ou de CNI en mairie en déclarant avoir perdu le précédent, ce qui empêchera l’agent de voir que les photos qu’il fournit ne correspondent pas. Cependant, il devra alors le plus souvent présenter un acte de naissance de moins de trois mois. Deux solutions s’offrent à lui : soit il se fait délivrer un tel acte en se faisant passer pour son véritable titulaire, soit il falsifie un acte pour obtenir l’identité souhaitée. Cette dernière solution est plus facilement détectable car l’acte n’est pas conforme au registre. Même si de faux actes circulent toujours en nombre, ils ne sont pas aussi dommageables qu’un véritable acte délivré indûment à la mauvaise personne. Et c’est là le nœud du problème : la délivrance des actes d’état civil obéit à des règles strictes édictées par un décret datant de… 1962. Ce dernier est toujours en vigueur aujourd’hui et ne répond sans doute pas à cette problématique relativement récente qu’est l’usurpation d’identité. Des solutions sont en cours pour essayer d’enrayer ce phénomène… 2. La délivrance des actes d’état civil, enjeu de l’usurpation d’identité Le décret du 3 août 1962 réglementant la délivrance des actes d’état civil édicte des conditions assez souples, notamment dans son article 9 : « Toute personne majeure ou émancipée peut obtenir, sur indication des nom et prénom usuel de ses parents, des copies intégrales de son acte de naissance ou de mariage. Les ascendants ou descendants de la personne que l'acte concerne, son conjoint et son représentant légal peuvent aussi obtenir les mêmes copies en fournissant l'indication des nom et prénom usuel des parents de cette personne ». Ainsi, il suffit à l’usurpateur de connaître l’identité complète de sa future victime ainsi que sa filiation pour obtenir son acte de naissance et entreprendre les démarches concernant la CNI ou le passeport. Sachant que l’acte peut être demandé par internet ou par courrier postal, il le recevra même par la Poste ! Le décret de 1962 n’avait évidemment pas pris en compte la problématique de l’usurpation. Cependant, ce texte s’applique toujours aujourd’hui puisqu’il n’a pas été abrogé ni remplacé par un autre. Aussi est-il impératif d’en respecter les dispositions, dussent-elles nous paraître insuffisantes en période de forte augmentation d’usurpation d’identité. En effet, certaines pratiques sont apparues, ici et là, avec l’idée certes louable de prévenir les risques d’usurpation, mais ajoutant des conditions qu’aucun texte ne prévoit à ce jour : il s’agit notamment de l’envoi des actes à la mairie de l’intéressé et non pas directement à son domicile. Si l’intention est bonne, rien ne permet à une mairie qui ne détient pas les registres de délivrer des actes… Néanmoins, un décret du 10 février 2011 a modifié le décret de 1962 à des fins de modernisation et d’évolution des conditions de vérification des données de l’état civil (avec la mise en place de la plateforme COMEDEC, pour « communication électronique des données de l’état civil »). L’objectif de ce dispositif est d’éviter à l’intéressé de demander un acte pour le transmettre à une administration : c’est l’administration qui vérifiera directement les données déclarées par l’usager auprès de sa mairie de naissance, via un réseau informatisé et sécurisé à travers lequel les agents d’état civil signeront électroniquement pour valider ces données. Une fois toutes les mairies dans le dispositif, il n’y aura donc quasiment plus de transmissions physiques d’actes d’état civil. On peut espérer ainsi une diminution certaine de l’usurpation d’identité sans pour autant avoir la certitude de l’éradiquer complètement par ce biais. Notons également que l’efficacité de COMEDEC en la matière ne sera réelle que lorsqu’une majorité de mairies aura adhéré, ce qui n’est pas encore le cas, même si leur nombre augmente régulièrement. Aussi doit-on être patient et attendre que le dispositif COMEDEC arrive à maturité pour voir enfin les chiffres de l’usurpation d’identité diminuer, sachant que pour le CRÉDOC, plus de 210 000 cas se produiraient chaque année en France… Sources :
- C. pén., art. 226-4-1
- Décret n° 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l’état civil