Le premier mariage homosexuel célébré en France avant la loi ouvrant le mariage pour tous demeure annulé selon la CEDH
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu, le 9 juin 2016, son premier arrêt sur l’annulation d’un mariage d’un couple de personnes de même sexe. Décision très attendue tant est le sujet nouveau en jurisprudence. Selon la Cour, l’annulation d’un mariage d’un couple de même sexe n’est pas contraire aux droits de l’Homme. Ainsi, les États membres de l’Union européenne restent libres de n’ouvrir le mariage qu’aux couples hétérosexuels. L’affaire singulière confrontait la Cour à un problème plus politique que juridique. La question était de savoir si le législateur national a le droit de n’attribuer le mariage qu’aux couples hétérosexuels comme il a la possibilité de ne l’ouvrir qu’aux couples homosexuels. Répondant par l’affirmative, la Cour délimite entre le politique et le juridique. Ne prenant pas position dans les décisions politiques d’un Etat membre, elle fait savoir qu’elle ne se substitue pas aux législations nationales. Par conséquent, le législateur national est libre de décider en la matière.
Un rappel des faits s’avère nécessaire pour comprendre cette décision. Le 5 mai 2004 est célébré un mariage homosexuel en France. Ce mariage, contraire à l’ancien article 144 du Code civil disposant que « l’homme avant dix huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage », a été annulé en appel puis en cassation le 13 mars 2007. Les requérants forment alors une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme arguant qu’ils avaient subis une discrimination sexuelle de la part de l’État français, lequel les privait de leur droit au mariage garanti par l’article 14 combiné avec les article 12 et 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (Conv.EDH). Entre temps, la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, vient donner aux couples homosexuels la possibilité de se marier avec le nouvel article 143 du code civil : « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ». Suite à cette nouvelle législation, les requérants soutenaient deux arguments juridiques : la discrimination et l’atteinte à la vie privée et familiale.
Le premier argument soutenait qu’il y avait une discrimination au regard du « droit au mariage » garanti par l’article 12 de la Conv.EDH, lequel prévoit que « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». En réponse à ce moyen, la Haute juridiction réitère sa jurisprudence antérieure Schalk et Kopf c. Autriche de 2010 qui déclarait que « l’article 12 n’impose pas au gouvernement défendeur l’obligation d’ouvrir le mariage à un couple homosexuel tel que celui des requérants ». Cela peut paraître surprenant dans la mesure où l’État défendeur, la France en l’espèce, avait fait évolué son droit en la matière par la loi Taubira. Ainsi ne pas accorder l’union à ces couples serait une violation de leurs droits et, au surplus, du droit français. La Cour se refuse l’habit d’un juge politique. Elle n’impose aucune obligation aux États membres d’accorder un droit au mariage aux couples homosexuels. Les États membres restent donc des arbitres libres de choisir la forme de leur union. Néanmoins, ils ont l’obligation de fournir un statut juridique à ces couples. Tel était le cas en l’espèce puisque le couple gay pouvait bénéficier de la protection offerte par l’institution du PACS. C’est pourquoi l’annulation de leur mariage a été jugée comme ne constituant pas une discrimination.
Dans leur deuxième argument, les requérants s’estimaient violés dans leur vie privée et familiale au regard de l’article 8 de la Conv.EDH. La Cour rejette nettement l’argumentation considérant que les parties pouvaient bénéficier de la situation juridique du PACS. Elle fait écho au principe selon lequel les personnes qui sont dans une situation différente peuvent être traitées différemment. Dès lors, si l’État considère qu’un couple homosexuel constitue une situation différente, il peut lui accorder un traitement différent. L’institution maritale est particulière en ce qu’elle repose sur la filiation. Elle se construit différemment selon que le couple est hétérosexuel ou homosexuel. Cela est suffisant selon la Cour pour qu’un Etat puisse décider d’ouvrir ou non l’institution du mariage sans que cette différence de situation lui soit opposée. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 mai 2013.
La conception que se fait la Cour européenne des droits de l’homme de la part respective du juge et du législateur en la matière se retrouve autrement dans sa deuxième justification. La deuxième raison pour laquelle elle ne veut pas interférer dans les choix politiques des États membres en la matière est « l’absence d’un consensus européen » entre les différents États signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette absence de consensus est la justification de sa non intervention dans les questions de société propres aux États membres. Maitre Mecary, avocate des requérants, dit à ce titre que la Cour n’est pas encore prête à juger que « l’absence d’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe constitue une discrimination ».
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