Une jurisprudence définitivement établie sur la translation de cimetières et le délai des cinq ans
Dans un article de la Lettre Légibase État civil & Cimetières no 95 de janvier dernier (« La « translation » de cimetières et le délai des cinq ans : enfin des précisions quant aux limites ! »), nous avions évoqué l’analyse faite par le Conseil d’État des dispositions de l’article L. 2223-6 du Code général des collectivités territoriales relatives à la translation de cimetières (CE, 9 nov. 2018, no 416683). S’agissant d’un recours pour excès de pouvoir et non d’un recours en plein contentieux, le Conseil d’État avait renvoyé l’affaire à nouveau devant la cour administrative d’appel de Nantes dont il venait de casser l’arrêt.
Cette cour s’est prononcée dans un arrêt du 8 février dernier (no 18NT03999) et, sans surprise, suit l’analyse du Conseil d’État.
Cet arrêt est important. Il révèle la difficulté de mise en œuvre d’une translation de cimetières et l’intérêt d’une concertation étroite avec les familles en amont de la procédure, dès lors que la collectivité n’a pas obtenu la reconnaissance d’utilité publique pour l’affectation du sol à un autre usage.
Sans rappeler dans le détail les faits de l’espèce (que le lecteur pourra retrouver dans l'article cité ci-dessus), on rappellera la nature du litige. La question était de savoir si le délai de cinq ans fixé à l’alinéa premier de l’article L. 2223-6 s’appliquait d’office au second alinéa qui prévoit la possibilité dérogatoire de poursuivre les inhumations dans les caveaux de famille.
À cette question, le Conseil d’État avait répondu par la négative. Trois conditions, fixées au second alinéa, doivent être remplies : des places disponibles, le respect des règles d’hygiène et de sécurité, pas de reconnaissance d’utilité publique. Aucune disposition réglementaire de ce second alinéa ne permet de considérer ou conclure que le délai établi au premier alinéa s’applique d’office au suivant. En conséquence, les inhumations peuvent se poursuivre tant que ces trois conditions sont respectées. Le Conseil d’État a opéré une lecture totalement séparée des deux alinéas.
Dans l’affaire qui lui était soumise, les juges précisaient ainsi que « […] la faculté dérogatoire ouverte par le second alinéa peut s’exercer jusqu’à l’échéance de la concession en cours à la date de décision de fermeture du cimetière », en l’espèce jusqu’en 2047, le maire de la commune ayant interdit toute inhumation dès décembre 2014, cinq ans après la délibération approuvant la fermeture.
La cour administrative d’appel de Nantes suit en tous points la position du Conseil d’État.
Les modalités de translation du cimetière jusqu’à cet arrêt
Les tribunaux et le ministère de l’Intérieur se sont prononcés bien des fois sur les modalités de la translation d’un cimetière. De façon générale, ces modalités sont connues et mises en œuvre sans difficulté notable, qu’il s’agisse de la répartition des frais entre les familles et la commune ou des dispositions sur le terrain commun, enfin du transfert de cavurnes ou de columbariums.
Il restait deux questions plus ou moins sans réponse définitive :
- celle relative à la translation du jardin du souvenir à laquelle le maire est tenu de procéder, selon des modalités qu’il voudra bien définir du moment que l’opération est effectuée dans le respect et la décence ;
- celle relative au délai des cinq ans dont chacun s’accordait à dire, depuis toujours, qu’il s’appliquait aux inhumations dans les caveaux de famille. La translation du cimetière entraînait sa fermeture définitive une fois le délai de cinq ans écoulé compté à partir de la délibération du conseil municipal. Pendant ce délai, le maire était tenu d’accepter les inhumations, sauf problèmes de places disponibles, de salubrité ou de reconnaissance de l’utilité publique de l’affectation future du sol du cimetière.
Passé ce délai de cinq ans, le maire pouvait faire procéder d’office au transfert des sépultures encore présentes dans le cimetière fermé. En cela, il respectait les dispositions de l’article L. 2223-7 du Code général des collectivités territoriales qui dispose : « passé le délai de cinq ans, les cimetières désaffectés peuvent être affermés par les communes […] à condition qu’ils ne soient qu’ensemencés ou plantés […] ». Dans la perspective d’une aliénation du terrain, le maire devait attendre un délai de dix ans conformément à l’article L. 223-8 du même code.
Les modalités de translation du cimetière bouleversées depuis l’arrêt de principe du Conseil d’État et sa confirmation définitive par la cour administrative d’appel de Nantes
La cour administrative d’appel de Nantes confirme l’arrêt du Conseil d’État en écrivant qu'« il ne ressort pas des pièces du dossier que l’inhumation de S. B. dans un emplacement resté disponible du caveau familial poserait des problèmes sanitaires ou de salubrité ou encore que le sol du cimetière aurait été affecté à un autre usage pour un motif d’utilité publique ».
Cette nouvelle jurisprudence va singulièrement changer le regard des communes sur cette procédure. Il ne s’agit plus de respecter un délai de cinq ans (ou dix ans) compté à partir de la délibération du conseil municipal, mais de respecter le délai bien plus contraignant restant à courir jusqu’à l’échéance de la concession. On mesure d’emblée la difficulté dans les cimetières où des concessions de longue durée ou perpétuelles ont été délivrées à des familles qui entendent utiliser et préserver leurs sépultures dans le lieu d’origine. Certes, il doit tout de même rester des places disponibles, la concession doit être en bon état d’entretien et aucun problème d’hygiène ne doit être rapporté.
La notion de places disponibles mérite (à nouveau) quelques explications
Une question reste toujours en suspens. La place obtenue à la suite de réductions et réunions de corps (dans les caveaux de famille) est elle une place disponible au sens du Code général des collectivités territoriales ? Il n’est pas rare en effet que des concessions perpétuelles ou cinquantenaires familiales accueillent plusieurs générations de défunts dans le cadre de « rotations » régulières de la sépulture. Le cimetière ne sera donc jamais désaffecté. Par conséquent, le maire ne pourra engager aucun projet, la volonté d’une seule famille étant suffisante pour l’en empêcher. Le dépôt d’urnes dans le vide sanitaire ainsi que le scellement d’urnes sur le monument permettront également de régler aisément le problème de place au moins pour quelque temps.
La notion de places disponibles paraît donc devoir être interprétée plus strictement. Si la famille sollicite une réduction et réunion de corps, c’est précisément parce qu’il n’y a plus de places disponibles. À ce titre, l’inhumation pourrait être refusée. Mais cette position risque d’ouvrir la voie à un autre contentieux à la suite du refus apporté à la demande de réduction et réunion de corps, pratique que le maire ne peut interdire dès lors que les conditions exigées par l’article R. 2213-40 du Code général des collectivités territoriales sont réunies.
La commune est donc prise entre des intérêts contradictoires : laisser le cimetière fermé mais utilisé ad vitam aeternam par quelques familles ou risquer un contentieux pour refus illégal d’exhumation.
Dès lors, pour pallier ces difficultés, il appartient à la commune d’obtenir que l’affectation future du sol soit reconnue d’utilité publique. En droit administratif, l’utilité publique d’une opération renvoie à une mission de service public ou à un projet d’intérêt général. Le juge administratif a eu maintes fois l’occasion de se pencher sur « l’intérêt général » d’une opération. On peut douter qu’un projet immobilier classique permette d’obtenir la qualification d’utilité publique, en l’absence de services rendus à la collectivité publique et à la population. Pourtant, seule l’utilité publique de l’opération permettrait de traiter définitivement la question et de s’en tenir aux délais des articles L. 2223-7 et L. 2223-8 du Code général des collectivités territoriales.
À défaut, il appartient au maire de présenter aux familles concernées les enjeux, nécessités et intérêts de la translation envisagée très en amont de la procédure et de les convaincre du bien-fondé de l’opération.
On peut s’étonner de la lecture faite par le Conseil d’État de l’article L. 2223-6 du Code général des collectivités territoriales. Une réécriture de cet article serait sans doute la bienvenue. Le Conseil d’État semble y inviter d'ailleurs quand il précise « qu’il n’appartient pas au juge administratif de considérer que [...] ». Dit autrement, il renvoie vers le législateur. Dans l’immédiat, les communes ayant un projet de translation de cimetière seront bien avisées de tenir compte de cette jurisprudence.