Et si on rajeunissait de vingt ans sur son état civil ?

Par Emmanuelle Le Bian

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Spontanément, toute personne interrogée sur cette question répondrait par la négative. Telle fut pourtant la requête inattendue d’un hollandais de 69 ans auprès de la justice de son pays. Revendiquant une excellente forme physique, il considérait son âge comme une discrimination dans sa vie quotidienne et sollicitait la correction de son état civil, en clair, être né en mars 1969 plutôt qu’en mars 1949. 

L’idée s’accommode mal de l’intangibilité de l’état civil dont les effets juridiques ont pris racine, pour chaque individu, le jour de la naissance. Bien que l’état civil hollandais n’existe dans sa forme actuelle que depuis 1811 (créé lors de l’occupation par la France), la règle de l’intangibilité de l’état civil dans ce pays ne diffère pas de la règle applicable en France. Leur Code civil est d’inspiration française. Sauf rectification par des voies judiciaires ou « manipulation » volontaire, la date de naissance est l’élément le plus intangible de notre état civil.

Ainsi, qu’adviendrait-il des dispositions inscrites dans le livret de famille ? De l’ordre de naissance des enfants en cas de fratrie ? Que deviennent les multiples décisions prises par les parents du requérant entre 1949 et 1967 quand il est encore mineur ? Des décisions qu’il a pu prendre à sa majorité entre 1967 et 1969 ? S’il a acheté ou vendu un bien dans cet intervalle, la décision serait alors nulle de plein droit comme n’ayant jamais existé ? Son travail rémunéré comme n’ayant jamais été effectué ?  Ses parents devraient-ils restituer, comme indues, les prestations sociales familiales perçues au temps de sa minorité ? Doit il repasser son permis de conduire ?

On voit bien le caractère infini des questions qui toutes resteraient sans réponse juridique valable. Comme ont pu le dire les juges : « modifier sa date de naissance ferait disparaître vingt ans de dossiers des registres d’état civil, cela entraînerait toutes sortes de conséquences juridiques et sociales indésirables […]. La loi et la jurisprudence ne le permettent pas ».

Le requérant invoquait sa jeunesse de corps et d’esprit. Se décrivant lui-même comme « jeune et affûté », il déplore la discrimination dont il considère faire l’objet « tant sur le marché de l’emploi que celui de l’amour ».

Ce requérant, coach spécialisé dans « la conscience de soi » a peut-être oublié qu’être ou rester jeune dans sa tête ou son corps relève de l’intime et non de la sphère juridique. Au demeurant, vingt ans, pourquoi pas trente ans et plus si un médecin veut bien confirmer l’extrême jeunesse du requérant ? 

Dans sa décision du 3 décembre dernier, le tribunal d’Arnhem n’a pas manqué de lui opposer également cet argument pour rejeter sa demande en précisant que « la cour reconnaît la tendance dans la société à ce que les gens se sentent de plus en plus longtemps en forme et en bonne santé mais cet état de fait ne constitue pas un argument valide pour modifier une date de naissance ». Le tribunal convient en revanche bien volontiers que le requérant est libre de se sentir vingt ans plus jeune que son âge réel et d’agir en conséquence.

Les Pays bas ont souvent été pionniers sur certains sujets « de société » (premier pays au monde à avoir légalisé le mariage homosexuel en 2001). Le requérant évoque les évolutions de la société qui permettent aujourd’hui de changer de nom ou de sexe. Alors pourquoi ne serait-il pas permis de changer d’âge ? Prise sous cet angle, la question est intéressante. Mais dans l’immédiat, elle relève davantage, et sans doute encore pour longtemps, de la science fiction…