Gestation pour autrui : la loi pour trancher la controverse ?
La gestation pour autrui est devenue un feuilleton juridique, dont le dernier rebondissement pourrait annoncer une conclusion législative, si ce n’est jurisprudentielle. Par un arrêt rendu le 26 juin, la Cour européenne des droits de l’homme a pris le contrepied du droit français, ce qui a déclenché de nombreuses réactions de la société civile.
Les juges européens ont tranché en faveur d’une transcription dans l’état civil français du lien de parenté en cas de gestation pour autrui à l’étranger, tout en différenciant la situation des parents et celle des enfants. Pour l’ensemble de la famille, l’impossibilité d’obtenir une transcription se traduit par des difficultés concrètes, notamment en matière de Sécurité sociale, de cantine scolaire ou d’accès à un centre aéré ou pour déposer des demandes d’aides financières auprès de la caisse d’allocations familiales, car ces démarches nécessitent la traduction assermentée des actes d’état civil du pays de naissance et suscitent de « la suspicion, ou à tout le moins [de] l’incompréhension » de la part des interlocuteurs. Cette situation conduit également à une situation juridique compliquée quant à leur nationalité notamment. En revanche, la cour « constate [que la famille a] pu s’établir […] en France peu de temps après la naissance des [enfants], qu’[elle est] en mesure d’y vivre ensemble dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles et qu’il n’y a pas lieu de penser qu’il y a un risque que les autorités décident de [la] séparer en raison de leur situation au regard du droit français ». Pour les enfants, la cour adopte une position plus stricte quant au respect de la vie privée car un « aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation » ainsi qu’à la nationalité. En plus des questions d’identité se posent des questions patrimoniales dans la mesure où le refus de la transcription de la filiation dans l’état civil français emporte des conséquences sur les droits des enfants dans le cadre de la succession. Non reconnus comme enfants légaux des parents d’intention, les enfants se voient seulement ouvrir les mêmes droits que les tiers. Le juge des droits de l’Homme refuse cette conséquence : au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui n’a pas choisi cette situation, contrairement aux parents d’intention, il juge que le droit français viole l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le droit français est très clair : la gestation pour autrui est frappée d’une interdiction d’ordre public. Les juges français, malgré la position de la Cour européenne de justice ne pourront répondre qu’au regard de l’état du droit malgré l’article 55 de la Constitution. Il est vrai que le juge européen n’invalide pas cette interdiction, mais condamne les conséquences pour les enfants. L’intervention du législateur paraît incontournable. Un texte de loi pourrait être le lieu d’un débat sensible. Le Gouvernement comme l’opposition s’entendent certes sur l’interdiction d’ordre public de la gestation pour autrui. En revanche, les conditions de prévention de cette pratique mettent à jour des oppositions plus profondes, puisque certains députés, comme la séance de questions au Gouvernement du 23 juillet dernier le laissait transparaître, souhaitent des sanctions pénales pour les parents, en allant ainsi plus loin que le seul délit d’aide à la gestation pour autrui qui existe aujourd’hui. Un tel choix conduirait néanmoins à une modification de l’application de la loi pénale, en l’appliquant à des faits commis à l’étranger et n’y étant pas répréhensibles : le juge pénal français refuse actuellement de condamner l’aide à la gestation pour autrui commise dans les pays où cela est permis. Le débat juridique est la partie émergée d’un débat politique voire idéologique bien plus profond : les droits des individus sont-ils plus importants que les devoirs sociaux ? À la lecture de la récente tribune du professeur Fabre-Magnan parue dans Le Figaro ou encore de la pétition signée par de grandes figures de la gauche, un débat passionné s’annonce. Sources :
- CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c./ France, n° 65192/11
- Question de J. Leonnetti – Réponse de C. Taubira du 23 juillet 2014
- M. Fabre-Magnan, « Les conséquences vertigineuses de l'arrêt de la CEDH sur la GPA » – Le Figaro, 26 juin 2014