Le rôle du juge dans l'application des délais de prescription en matière de filiation

Par Anaïs Danède

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Dans sa décision du 21 novembre 2018, la Cour de cassation considère que le juge doit estimer, s’il est saisi d’une demande en ce sens, si les délais de prescription des actions judiciaires en matière de filiation portent atteinte ou non au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur au regard du but poursuivi par celui-ci (Cass., 1re civ., 21 nov. 2018, no 17-21095).

Dans les faits, M. Bernard X est né de Mme Marie F et a été reconnu par M. Camille X. Or, M. Auguste Z. le désignait dans son testament, bien que de façon imprécise. M. Bernard X. a donc engagé une action en contestation de la paternité de M. Camille X et d’établissement judiciaire de la paternité de M. Auguste Z.

Lors du renvoi après cassation de l’affaire devant la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, M. Bernard X a demandé à cette cour de procéder à un contrôle de proportionnalité entre les intérêts publics défendus par le délai de prescription de l’article 321 du Code civil et les intérêts privés de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH).

L’article 321 du Code civil dispose que « sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. À l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité. » Ce délai de 10 ans permet de laisser suffisamment de temps pour intenter une action en matière de filiation tout en protégeant la sécurité juridique et les droits des tiers. L’article 8 de la CEDH quant à lui protège le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, ce qui inclut selon M. Bernard X, le droit de faire reconnaître son lien de filiation.

M. Bernard X savait que le délai de prescription en matière d’établissement de la filiation était dépassé à l’introduction de l’affaire en justice, d’où sa demande de contrôle de proportionnalité de l’article 321 du Code civil par rapport à son intérêt légitime, à savoir pouvoir hériter de M. Auguste Z. Cependant la cour d’appel n’a pas effectué ce contrôle de proportionnalité et a simplement débouté M. Bernard X de sa demande d’établissement du lien de filiation de M. Auguste Z car le délai de prescription de l’article 321 du Code civil était effectivement écoulé.

C’est donc cette absence de réponse sur la demande de contrôle de M. X que sanctionne la Cour de cassation en cassant l’arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion. 

De façon plus concrète, cela pourrait signifier que les juges devront apprécier, dès qu’ils sont questionnés en ce sens, si le délai de prescription des actions judiciaires en matière de filiation n’est pas contraire aux intérêts et au but poursuivi par le demandeur. Ainsi, le délai de 10 ans ne semble plus s’appliquer mécaniquement.