Lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité : la situation particulière de l’île de Mayotte
Le Gouvernement a présenté en février dernier un projet de loi « Pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » qui répond à trois objectifs principaux : renforcer la protection des personnes, assurer la convergence des procédures françaises avec le droit et les pratiques européennes et adapter le droit français aux réalités opérationnelles.
La protection des mineurs contre les reconnaissances frauduleuses de paternité s’inscrit au chapitre du premier objectif visant au renforcement de la protection des personnes (art. 30 du projet de loi), malgré un arsenal juridique important déjà existant.
C’est ce point qui sera étudié ici, étant rappelé que cette loi aura vocation à s’appliquer à l’ensemble du territoire.
La situation particulière de Mayotte (déjà évoquée dans la Lettre n° 88 du mois d’avril, Mayotte : vers une remise en cause du droit du sol ?) appelle quelques observations complémentaires.
1. Les objectifs poursuivis
Dans l’exposé des motifs du projet de loi, le Gouvernement précise que le (nouvel) article 30 a pour objet de sécuriser les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » prévue à l’article L. 313-11 du CESEDA et à lutter contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation des ressortissants français en modifiant des dispositions du Code civil, aux fins « de prémunir l’enfant d’une reconnaissance en paternité factice […] dans l’intérêt supérieur de l’enfant ».
L’étude d’impact du projet de loi annonce le chiffre de 577 reconnaissances frauduleuses de paternité produites à l’appui d’une demande de titre de séjour sur l’année 2016.
L’arsenal juridique existant prévoit déjà de nombreux dispositifs de lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité.
Une telle reconnaissance n’est pas un délit au sens du Code pénal, sauf si la reconnaissance a été faite dans le but d’obtenir frauduleusement un droit, comme un titre de séjour (C. pén., art. 441-1 et s. relatifs aux faux en écritures publiques et art. 227-13 pour atteinte à l’état civil de l’enfant ; CESEDA, art. L. 623-1).
Par ailleurs, nul n’est contraint de se soumettre à un test de paternité pour justifier de sa qualité de père. Précisément, le refus de se soumettre à un tel test ne constitue pas, à lui seul, une présomption de fraude.
Enfin, seule une procédure judiciaire complexe (engagée par le père ou le Ministère public, art. 336 et 336-1 du C. civ.) permet d’annuler une reconnaissance de paternité qui annule, avec effet rétroactif, le lien de filiation établi. Les conséquences pour l’enfant peuvent être considérables.
Les tribunaux administratifs se sont prononcé maintes fois sur ce sujet. On citera en exemple deux arrêts récents du Conseil d’État (27 juillet 2016, n° 391939 et 10 juin 2013, n° 358835)
1.1. Le titre de séjour
La délivrance du titre de séjour à l’étranger se prévalant de la qualité de parent d’enfant français sera subordonnée à la justification de la contribution effective de l’auteur de la reconnaissance de la filiation à l’entretien et l’éducation de l’enfant.
L’article L. 313-11, 6° du CESEDA prévoit déjà cette condition pour la carte de séjour temporaire : ainsi, la délivrance d’un titre de séjour est accordé « à l’étranger, ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France à la condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions fixées à l’article 371-2 du Code civil depuis la naissance de celui ou depuis au moins deux ans […] ».
Le projet de loi rajoute une disposition à cet article. Dans les cas où la filiation est établie à l’égard d’un parent (C. civ., art. 316), le demandeur d’un titre de séjour qui n’est pas l’auteur de la reconnaissance de paternité (ou de maternité) devra justifier qu’il contribue effectivement à l’éducation et l’entretien de l’enfant. Si la preuve de la contribution n’est pas rapportée, le droit au séjour s’appréciera au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant.
1.2. Le lien de filiation
Par ailleurs, la procédure d’enregistrement des reconnaissances du lien de filiation régie par l’article 316 du Code civil sera modifiée.
Cet article dispose que « la filiation peut également être établie par une reconnaissance de paternité ou de maternité faite avant ou après la naissance ». Dans l’immense majorité des cas, il s’agit des pères puisque la filiation maternelle est principalement établie par l’inscription de son nom dans l’acte de naissance.
Les modifications portent sur les justificatifs et le dispositif d’alerte.
1.2.1 Justificatifs
L’auteur de la reconnaissance devra justifier de son identité et son domicile.
Il devra présenter « un document officiel délivré par une autorité publique comportant son nom, son prénom, sa date et son lieu de naissance, sa photographie et sa signature » ainsi qu’un document établissant « son domicile ou sa résidence par la production d’une pièce justificative datée de moins de trois mois ». À l’heure actuelle, ces éléments sont produits verbalement (C. civ., art. 62)
Ce contrôle de l’identité n’est pas, en lui-même, surprenant. Une telle pièce d’identité accompagnée de pièces justificatives est exigible naturellement depuis longtemps pour une inscription sur les listes électorales ou la constitution d’un dossier de mariage.
Toutefois, aucun texte ne fait obligation de disposer d’une carte d’identité ou d’un passeport puisqu’il est toujours possible de faire la preuve de son identité par d’autres moyens, tels le livret de famille ou l’acte de naissance avec filiation. Mais ces documents dépourvus de photographie ne seront pas recevables pour une reconnaissance. La loi introduit donc une difficulté dans la démarche de reconnaissance d’un enfant.
1.2.2. Dispositif d’alerte
Un dispositif d’alerte par l’officier d’état civil auprès du procureur de la République pouvant aboutir à une opposition à l’établissement de l’acte de reconnaissance est mis en place. Il pourra y avoir alors sursis à l’enregistrement de la reconnaissance pendant un délai de deux mois, l’affaire pouvant être portée devant le tribunal de grande instance qui disposera d’un délai de dix jours pour statuer.
Il impliquera de la part des officiers d’état civil une veille de même nature que celle qui avait présidé à la lutte contre les mariages de complaisance, avec la mise en place d’une audition de la personne souhaitant établir cette reconnaissance et, selon les conclusions de l’audition, un signalement officiel en vue d’obtenir une réponse définitive du procureur de la république.
La question que se pose nombre d’institutions aujourd’hui (Défenseur des droits, Commission nationale consultative des droits de l’Homme notamment) réside dans l’ « encadrement » de ces auditions, en termes de garanties procédurales, d’interprétariat…
Le projet de loi étant muet sur ce point, on suppose qu’un décret et plus tard une circulaire viendront préciser les critères de suspicion d’une reconnaissance de paternité frauduleuse. Il est probable que certains des critères seront empruntés à ceux mis en place pour la détection de mariages de complaisance, tels l’âge (celui du demandeur, différence d’âge entre le demandeur et l’enfant ou entre le demandeur et la mère), reconnaissance très tardive émanant d’une personne en situation irrégulière, multiplicité de reconnaissances d’enfants pour des mères différentes…
Même si les officiers d’état civil sont déjà rompus à cet exercice dans le cadre des auditions avant mariage, une telle audition reste toujours délicate à mener compte tenu de son caractère assez intrusif. Une formation des agents semble toutefois prévue.
2. La situation particulière de Mayotte
L’hôpital de Mayotte, plus grande maternité de France, accueille chaque jour des femmes de l’archipel des Comores venues y accoucher.
Il convient de préciser ici qu’une partie de la réforme proposée est déjà en vigueur à Mayotte.
Ainsi, le dispositif d’alerte auprès du procureur de la République par les officiers d’état civil est applicable depuis la loi n° 2006-911 du 24 juillet relative à l’immigration et l’intégration, et son article 108 créant les articles 2499-1 à 2499-5 du Code civil applicables uniquement sur cette île. Ainsi, l’article 62 du Code civil (éléments d’identité produits verbalement lors de la reconnaissance) est déjà suspendu à l’article 2499-1 (indices sérieux de reconnaissance frauduleuse).
Les articles 2499-1 à 2499-5 seront naturellement abrogés à l’issue du vote définitif du projet de loi puisque cette disposition sera étendue à l’ensemble du territoire.
Si des articles de presse se font l’écho de cette réforme, il faut en déduire qu’à ce jour, le dispositif d’alerte existant n’a pas été vraiment mis en œuvre ou permis de résoudre les difficultés. Une vaste opération de sensibilisation et d’affichage en mairie et dans les maternités est menée. Le procureur de la République de Mayotte évoque les nombreuses procédures engagées depuis la fin de l’année 2017 sur la base de l’arsenal juridique existant (principalement l’article L. 623-1 du CESEDA)
Le droit du sol et le droit du sang ne sont pas remis en cause sur le principe.
L’objectif du ministère de l’Intérieur est de mettre un terme aux cas de fraude de reconnaissance d’enfants français (droit du sol) par des pères étrangers aux fins d’obtenir un titre de séjour en tant que « parent d’enfant français » et d’empêcher l’utilisation de l’article 18 du Code civil (droit du sang) aux seules fins d’obtenir certains avantages ou faveurs auprès de femmes en situation de vulnérabilité.
Plusieurs décisions de justice ont été rendues ces derniers mois concernant les reconnaissances frauduleuses de paternité d’enfants nés à Mayotte (CA Rennes, 16 oct. 2017, n° 16-01099 ; CA Lyon, 3 avril 2018, n°s 16-02615 et 16-04827). Aucune statistique ne permet toutefois de connaître avec certitude la part de reconnaissances frauduleuses de la seule île de Mayotte.
Les obligations et conditions imposées à Mayotte sont désormais étendues à l’ensemble du territoire. Elles auront pour effet de bouleverser définitivement le principe simple, jusqu’ici, du droit de reconnaissance d’un enfant, dont l’intérêt supérieur est protégé par la Convention internationale des droits de l’enfant et la Convention européenne des droits de l’Homme au titre de la vie privée et familiale. Une augmentation possible des contentieux n’est pas exclue.