La reconnaissance d’un enfant à partir du 1er mars 2019
Si l’acte de naissance revêt une importance fondamentale, c’est avant tout parce qu’il fonde l’existence juridique d’une personne, en l’identifiant et en la rattachant à ses parents. Et les différents modes d’établissement de la filiation n’ont finalement que peu évolué pendant ces dernières décennies afin de garder la nécessaire souplesse que la matière exige.
Pourtant, avec l'entrée en vigueur de la loi no 2018-778 du 10 septembre 2018 le 1er mars 2019, l’un d’entre eux – la reconnaissance volontaire – va connaître une profonde mutation de cette philosophie libérale avec l’instauration de ce qui s’apparente à un véritable contrôle préalable.
Et pour bien mesurer l’ampleur de cette évolution, nous observerons dans un premier temps la reconnaissance d’enfant aujourd’hui (1) avant d’analyser les différents points que va mettre en place la réforme législative et donc les changements qu’elle induira (2).
1. La reconnaissance d’enfant aujourd'hui
La reconnaissance est un acte d’état civil à part entière et personnel, qui n’établit la filiation qu’à l’égard de son auteur (C. civ., art. 316).
Reconnaître un enfant n’est nécessaire que pour les hommes non mariés. En effet, la mère établit dans tous les cas sa filiation au plus tard le jour de la naissance de son enfant (C. civ., art. 311-25) ; l’homme marié dispose de la présomption de paternité, dispositif légal faisant de lui le père de l’enfant de son épouse, au même moment (C. civ., art. 312).
En revanche, l’homme non marié ne dispose d’aucun mécanisme automatique pour établir sa filiation. Pour lui, il est donc indispensable de le reconnaître, c’est à dire d'effectuer une démarche volontaire le plus souvent auprès d’un officier d’état civil, lequel dressera alors un acte de reconnaissance. Il faut noter que même si les cas sont très rares, le notaire est également compétent pour établir ce type d’acte.
La reconnaissance peut être faite avant la naissance, au moment de la déclaration mais aussi après la naissance et ce, sans limite de temps. Il convient de préciser que la mère a le droit de reconnaître un enfant uniquement avant la naissance, même si cela n’aura pas d’intérêt majeur (à l'exception de l'attribution du nom de famille en cas de premier enfant), puisqu’il faut le rappeler, pour elle, la filiation sera de toute façon établie au jour de la naissance de son enfant.
Aujourd’hui, une personne effectuant une telle démarche le fait en totale liberté et sans document obligatoire.
En effet, la reconnaissance est basée sur la filiation biologique, c’est à dire que reconnaître consiste à déclarer que l’on est ou que l’on va devenir le parent biologique d’un enfant. Il s’agit donc d’un système purement déclaratif n’imposant aucune preuve particulière : pas de document d’identité imposé, pas de preuve d’un lien existant avec la mère, pas de preuve de domicile, etc. Absolument rien n’est obligatoire afin de faciliter au maximum cette démarche aux potentiels parents biologiques d’enfants, lesquels peuvent le faire d’ailleurs dans n’importe quelle mairie en France puisque la loi n’exige aucune compétence territoriale. Là-encore, la facilité et la souplesse sont au centre du dispositif.
De la même façon, il est toujours demandé aux officiers d’état civil de conseiller au père potentiel d’effectuer sa reconnaissance le plus tôt possible afin d’éviter, en cas de décès éventuel, une impossibilité matérielle empêchant alors l’enfant de disposer immédiatement d’une filiation paternelle lors de sa naissance.
Enfin, élément supplémentaire d’un dispositif très souple et intimement lié au caractère biologique préexistant à la reconnaissance, cette dernière peut être faite par un mineur sans la présence, ni même l’information, de ses représentants légaux. En effet, il s’agit d’un acte personnel échappant aux règles habituelles de l’incapacité des mineurs.
La seule limite que doit alors apprécier l’officier d’état civil est celle de la puberté, le plus souvent décrite aux alentours de douze ans. Pour une reconnaissance qui interviendrait bien des années plus tard, c’est cette différence d’âge d’une douzaine d’années qui doit être appréciée pour rendre la filiation vraisemblable et donc la reconnaissance possible.
Une fois établie, la reconnaissance sera alors soit intégrée, soit portée en marge de l’acte de naissance qu’elle vise : c’est à partir de là que la filiation produira tous ses effets.
Pourtant, le fondement purement déclaratif de la reconnaissance tel qu’il vient d’être décrit va connaître prochainement un bouleversement…
2. La reconnaissance réformée, un contrôle en amont
La loi no 2018-778 du 10 septembre 2018 concerne la lutte contre l’immigration illégale. Elle entrera en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'État et au plus tard le 1er mars 2019. C’est donc indirectement que le texte traite de la question de la reconnaissance. En effet, son article 55 vient modifier l’article 316 du Code civil avec pour objectif de lutter contre les reconnaissances frauduleuses.
Ces dernières constituent un délit lorsqu’elles sont établies dans le but d’obtenir frauduleusement un droit : c’est l’hypothèse de l’auteur français qui reconnaît à tort et en connaissance de cause un enfant né à l’étranger d’une mère étrangère. Au terme de l’article 18 du Code civil, l’enfant ainsi reconnu devient immédiatement français par filiation et sa mère est alors en droit d’obtenir un titre de séjour en tant que mère d’un français.
C’est donc précisément contre ce type de fraude à la reconnaissance que la loi précitée entend lutter. On comprend aisément que le dispositif existant jusqu’alors n’était plus compatible avec cette exigence de prévention des reconnaissances frauduleuses.
En conséquence, l’article 316 du Code civil, dans sa nouvelle rédaction, modifie la procédure de reconnaissance en apportant deux changements majeurs : d’une part la production obligatoire par son auteur de justificatifs, et d’autre part l’instauration d’un processus d’alerte à l’initiative de l’officier d’état civil (un peu d’ailleurs comme cela se pratique depuis 2006 à Mayotte).
D’abord, la loi exige désormais que tout auteur d’une reconnaissance justifie de son identité en présentant une pièce d’identité définie par l’article 316, al 3-1° qui en retient une acception large et non limitée aux seuls passeport et carte nationale d’identité.
Ensuite, l’article 316, al. 3-2°, par l’exigence pour le même auteur d’un justificatif de domicile daté de moins de trois mois au jour de la reconnaissance. Là encore, le texte ne précise pas le type de justificatif. À défaut, il sera nécessaire de produire une attestation d’élection de domicile.
Ainsi s’achève l’ère de l’acte de reconnaissance dressé sur la seule déclaration et l’unique bonne foi de son auteur. Il faut toutefois noter que depuis très longtemps déjà, l’immense majorité des reconnaissances est établie sur présentation d’une pièce d’identité même si cela n’avait pas jusque-là de caractère obligatoire.
L’autre volet de la loi consiste en l’instauration d’un contrôle préalable dont l’officier d’état civil est le garant. Il doit alerter le procureur de la République (C. civ., art. 316-1), un peu à la manière de ce qui existe depuis longtemps pour les mariages, « lorsqu'il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l'audition par l'officier de l'état civil de l'auteur de la reconnaissance de l'enfant, que celle-ci est frauduleuse, l'officier de l'état civil saisit sans délai le procureur de la République et en informe l'auteur de la reconnaissance. »
La notion d’indices sérieux n’est pas développée par la loi mais le sera vraisemblablement lors de la parution du décret d’application et sans doute d’une circulaire.
Le procureur a alors quinze jours pour soit laisser l’officier d’état civil dresser la reconnaissance, soit y faire opposition, soit ordonner un sursis d’un mois (renouvelable une fois) afin de laisser une enquête éclairer sa décision.
Si le parquet entend s’opposer, il signifie cette opposition à l’officier d’état civil qui l’avait saisi lequel apposera sa signature sur l’original. Il fera également une mention sommaire de cette opposition sur les registres de l’état civil, comme cela se pratique déjà pour les oppositions à mariage émanant du procureur de la République.
Et une fois cette mention effectuée, l’acte d’opposition fera obstacle au dressé de l’acte de reconnaissance. L’officier d’état civil qui y contreviendrait s’exposerait alors à une amende de 3 000 € et des dommages-intérêts.
À défaut d’opposition, notamment si à l’issue de l’enquête, le parquet laisse la reconnaissance s’établir, les règles sur la dévolution du nom de famille s’appliqueront rétroactivement à la date de la saisine initiale (C. civ., art. 316-5).
Ainsi, par toutes ces nouvelles dispositions, le législateur entendant lutter contre l’immigration clandestine a indirectement modifié en profondeur les règles de l’établissement de la filiation par reconnaissance en France.
Désormais, cette procédure obéit de façon assez similaire à celle mise en place pour les mariages en plaçant l’officier d’état civil au cœur de la détection de la fraude tout en responsabilisant l’auteur d’une reconnaissance par la production des justificatifs d’identité et de domicile.