Intérêt supérieur de l'enfant et connaissance de sa filiation biologique réelle
Dans un arrêt du 7 novembre 2018, la Cour de cassation rappelle les éléments fondant la possession d’état et considère que l'intérêt supérieur d’un enfant peut se trouver dans la connaissance de sa filiation biologique (C. Cass., 1re civ., 7 nov. 2018, no17-26445).
1. Rappel des faits
L’enfant A., née en 2007, est déclarée à l’état civil comme fille de Mme X. et son époux, M. Y. Elle porte alors le nom Y. Le 15 novembre 2007, soit trois mois après la naissance, M. Z., qui a eu une relation avec Mme X., reconnaît cette enfant.
La reconnaissance de M. Z. ne pouvant être portée en marge de l’acte de naissance de l’enfant conformément à l’article 320 du Code civil, M. Z. a assigné M. et Mme Y. en contestation de la paternité de M. Y. et en établissement de sa paternité par actes des 27 mars 2008 et 30 avril 2009.
Le 18 décembre 2009, les juges de première instance considèrent l’action de M. Z. recevable et ordonne une expertise biologique. Les tests ADN démontrent que « Mme X. avait 1 chance sur 100 milliards d’avoir l’enfant d’un autre homme que M. Z. et que cela revient à dire qu’au sein de l’humanité, M. Z. est quasiment le seul père possible de l’enfant A. »
Les parents font appel devant la cour d’appel de Nîmes puis se pourvoient en cassation contre son arrêt rendu le 28 juin 2017.
2. La possession d’état
M. et Mme Y. avaient argumenté devant la cour d’appel que, même si les tests ADN démontrent que M. Z. est le père biologique de l’enfant A., il y a une possession d’état entre l’enfant et M. Y., époux de la mère. Or, ce type de filiation, s’il est conforme depuis plus de 5 ans, ne peut plus être attaqué que par le ministère public. Les parents espéraient alors rendre impossible la contestation de paternité entreprise par M. Z. La cour de Nîmes, puis la Cour de cassation ont rappelé que la possession d’état est définie par le cumul des conditions des articles 311-1 et 311-2 du Code civil.
Ainsi, la cour d’appel de Nîmes comme la Cour de cassation reconnaissent que les conditions de l’article 311-1 sont bien remplies, à savoir :
- que l’enfant a été traitée par M. Y. dont on la dit issue comme son enfant et qu'elle-même le considère comme son père ;
- que celui-ci a, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ;- Que l’enfant A est reconnue comme l’enfant de M. Y., dans la société et par la famille ;
- que l’enfant A. est considérée comme telle par l'autorité publique ;
- que l’enfant A. porte le nom de M. Y.
Cependant ni la Cour d’appel, ni la Cour de cassation n’estiment que cette possession d’état satisfait les conditions de l’article 311-2, c’est à dire être paisible et non équivoque. En effet, M. Z. a intenté les actions en justice nécessaires pour faire reconnaître son lien de filiation peu de temps après la naissance de l’enfant et l’affaire est en cours depuis plus de dix ans.
3. L'intérêt supérieur de l’enfant
La cour d’appel de Nîmes a jugé que l'intérêt supérieur de l’enfant impose qu’il ait connaissance sa filiation biologique réelle. Le couple Y., au contraire, estime que cette décision constitue une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale et l'intérêt de l’enfant. En effet, ce n’est pas Melle Y. qui est à l’origine de l’action tendant à « l'établissement » de sa filiation. De plus, elle a toujours vécu avec M. Y. qu’elle considère comme son père et porte même son nom.
La Cour de cassation, suivant la décision de la CEDH Maudet c./ France du 14 janvier 2016, confirme la décision de la cour d’appel de Nîmes. Elle estime qu’il serait contraire à l'intérêt de l’enfant de la faire vivre dans « un mensonge aussi flagrant (la fillette a plus de 10 ans désormais) et portant sur un élément essentiel de son histoire ». La cour concède qu’il sera surement difficile à l’enfant de voir M. Z. comme son père mais elle compte sur le couple, et surtout sur la mère, qui « est malgré tout à l’origine de la situation », pour aider l’enfant à l’appréhender.