Mayotte : vers une remise en cause du droit du sol ?
La situation démographique actuelle de l’île de Mayotte conduit le gouvernement français à s’interroger sur les conséquences du « droit du sol » et évoque une proposition d’extra-territorialisation de l’hôpital principal.
Après un bref rappel de la situation administrative et démographique de Mayotte, seront rappelés les principes de droit quant à l’acquisition de la nationalité française avant d’évoquer les limites juridiques de la proposition d’extra-territorialisation des naissances.
Ce débat autour du droit du sol à Mayotte n’est pas nouveau.
Située à plus de 8 000 km de la métropole, l’île de Mayotte forme la partie orientale de l’archipel des Comores dans l’océan Indien. Elle a été séparée des trois autres îles de l’archipel à la suite d’un référendum d’indépendance en 1975.
L’article 72-3 de la constitution de la Ve République reconnaît cette île comme une collectivité territoriale devenue le 101e département de France depuis le 31 mars 2011.
Les statistiques démographiques de l’INSEE révèlent une augmentation importante des naissances entre 2013 (6 560 naissances) et 2016 (9 600 naissances). Les trois quarts des enfants nés en 2016 ont une mère de nationalité étrangère, comorienne pour la plupart. Toutefois, six bébés sur dix ont au moins un de leurs parents français. Deux tiers des naissances ont lieu à l’hôpital principal de Mamoudzou, présenté comme la première maternité de France.
Les règles d’acquisition de la nationalité française
La nationalité est le lien juridique qui relie un individu à un État.
Le Code civil énonce, dans ses articles 17 à 22-3, les dispositions relatives à la nationalité française d’origine et celles relatives à l’acquisition de cette nationalité.
La loi française reconnaît « le droit du sang » et « le droit du sol » (ne sont pas évoquées ici l’acquisition de la nationalité par d’autres voies telles le mariage, l’adoption, ni la situation des enfants nés de parents apatrides…).
L’acquisition peut être obtenue de plein droit ou par déclaration.
Acquisition de plein droit de la nationalité française
À la naissance :
- enfant né en France ou à l’étranger dont l’un des parents au moins est français (droit du sang : C. civ., art. 18) ;
- enfant né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né (double droit du sol : C. civ., art. 19-3)
À la majorité :
Le droit du sol est illustré par l’article 21-7 du Code civil.
Ainsi, à l’initiative de l’enfant majeur, « tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans ».
L’acquisition de plein droit est constatée par la délivrance d’un certificat de nationalité française délivré par le greffier en chef du tribunal d’instance territorialement compétent.
Acquisition par déclaration de la nationalité française
L’article 21-11 du Code civil prévoit pour les enfants mineurs que « l’enfant mineur, né en France de parents étrangers peut, à partir de l’âge de seize ans, réclamer la nationalité française par déclaration […] s’il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans. Dans les mêmes conditions, la nationalité française peut être réclamée, au nom de l’enfant mineur, né en France de parents étrangers, à partir de l’âge de treize ans, la condition de résidence habituelle en France devant alors être remplie à partir de l’âge de huit ans ».
Le greffier en chef du tribunal d’instance est compétent pour recueillir la déclaration accompagnée des pièces justificatives. Si les conditions sont réunies, le greffier instruit et enregistre la déclaration.
L’acquisition de la nationalité française entraîne des effets collectifs (familiaux) et/ou individuels (francisation du nom et/ou prénom).
Le droit français de la nationalité n’est donc pas un strict droit du sol puisque le régime comporte des éléments tenant à la naissance et à la résidence sur le territoire français (dont il convient d’apporter les preuves, telle celle de la scolarité par exemple).
Le droit du sol est en vigueur à Mayotte depuis 1994 et ne s’applique qu’aux enfants nés après le 31 décembre 1976 (suite au référendum d’indépendance en 1975).
La proposition du Gouvernement et les limites juridiques
L’extra-territorialité est un principe de droit international public qui revient pour un pays à laisser s’exercer l’autorité et la compétence juridique (législative, exécutive ou juridictionnelle) d’un État étranger sur une partie de son territoire. L’extra territorialité ne se pratique qu’au sein de quelques très rares institutions internationales (le siège de l’ONU à New York, le quartier général de l’OTAN en Belgique…).
La proposition
La ministre des Outre-mer propose que l’hôpital de Mamoudzou ait un statut extra-territorial au sein duquel plusieurs états civils pourraient coexister en accord notamment avec l’État comorien et la république de Madagascar.
L’état civil des enfants serait établi en fonction de la législation applicable dans le pays d’origine des parents. Un acte d’état civil français ne serait plus établi de manière automatique, sans qu’il soit précisé à l’heure actuelle les modalités d’établissement de ces actes. Concrètement, les enfants nés dans cet hôpital ne seraient plus forcément considérés comme nés en France et ne pourraient plus, d’office, acquérir la nationalité française en vertu du droit du sol issu des articles 21-7 et 21-11 du Code civil.
Les limites juridiques
Les limites trouvent leur source au sein même de la Constitution de la Ve République.
L’extra-territorialité pourrait remettre en cause les principes d’indivisibilité du territoire et d’égalité devant la loi fixés à l’article 1er, issus de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
La République « s’exerce » de manière identique en tous points du territoire et les dispositions du Code civil relatives au droit du sol ont vocation à s’appliquer de manière uniforme sur l’ensemble des territoires de la République.
Dans le cahier n° 35 d’avril 2012, le Conseil constitutionnel écrit : « Malgré une tentation à situer l’Outre-mer à part dans la République, un territoire appartient à la République ou n’y appartient pas. L’indivisibilité est le marqueur du caractère unitaire de l’État qui impose en métropole comme dans les territoires ultramarins l’unicité du peuple français, l’unité de la langue, l’unicité de la source normative et l’unité du régime juridique des libertés publiques ».
Si l’article 73 prévoit la possibilité que les lois et règlements puissent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières dans les départements et régions d’outre mer, ce que la ministre des Outre-mer a d’ailleurs rappelé, il est impossible de considérer qu’une modification du droit du sol sur Mayotte ne constitue qu’une adaptation. En effet, les adaptations évoquées ne peuvent pas porter sur la nationalité. Une telle modification suppose la mise en œuvre d’une révision de la Constitution.
L’extra-territorialité remettrait également en cause le principe de souveraineté nationale établi au préambule ainsi qu’aux articles 3 et 5 de la Constitution. L’État français perdrait l’exclusivité de sa compétence sur son territoire. L’éventuel statut d’extraterritorialité concédé à l’hôpital de Mayotte supposerait donc la signature de traités formels et précis entre les pays concernés.
Il conviendrait également d’anticiper les conflits de juridictions entre les différentes juridictions des pays, tant en matière civile que pénale puisque l’extra-territorialité ne permet pas nécessairement d’exclure l’application du droit national.
Les Comores ainsi que Madagascar ont signé la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies.
Les limites pratiques
Des difficultés pratiques quotidiennes ne manqueraient pas de surgir dans la mise au point d’une telle organisation au sein même de l’hôpital et au sein du service état civil des communes mahoraises. Cela suppose une forme de co-gestion active et de bonne foi entre les pays, sur un modèle un peu voisin de la co-gestion de l’hôpital franco-espagnol de Puigcerdá, bien que le contexte soit très différent.
Un groupe de travail a été désigné pour réfléchir à une solution juridique compatible avec les principes constitutionnels de la Ve République et acceptée par les pays concernés. Ces deux difficultés majeures constituent un obstacle sérieux à la mise en œuvre d’une telle proposition, d’autant que les Comores ont toujours profondément regretté la « perte » de Mayotte.