Des délais d’action en matière d’état civil trop courts ?
Si des délais pour déclarer une naissance ou un décès sont imposés par la réglementation en matière d’état civil, c’est avant tout une question de sécurité juridique de l’état des personnes. Peu nombreux, les délais d’action dans ce domaine sont souvent liés à des sanctions pénales en cas de non-respect, ou encore synonymes de démarches judiciaires lourdes pour l’acte de naissance. Ces contraintes d’action posées pour assurer une sécurité juridique des actes dressés sont soumises à la pression de la pratique et révèlent un besoin de réforme pour faire face à la complexification du droit en matière d’acte de naissance (1) ou tout simplement à la réalité du terrain pour les autres délais (2).
1. Les 3 jours pour déclarer une naissance sont-ils devenus insuffisants ? L’article 55 du Code civil impose à toute personne ayant assisté à un accouchement, le père tout particulièrement, de déclarer la naissance de l’enfant à l’officier d’état civil compétent territorialement dans les 3 jours. Ce délai est particulier puisqu’il débute au lendemain du jour de l’accouchement et est prolongeable si le dernier jour tombe un jour férié ou un samedi et dimanche. Ainsi, selon le jour de la naissance dans la semaine et le jour de fin du délai, il peut s’écouler effectivement seulement 3 jours ou jusqu’à 6 jours. La difficulté provient du fait que l’on ne détermine pas le délai en fonction de la situation particulière d’un enfant mais bien du jour de sa naissance… Or, au regard d’une dévolution du nom de famille de plus en plus complexe, ces 3 jours sont de plus en plus contraignants voire inadaptés au temps nécessaire à la détermination du nom de l’enfant. En effet, depuis les nombreuses réformes en matière de droit de la famille, l’analyse de chaque cas prend de plus en plus de temps et nécessite une expertise qui ne peut se résumer à une prestation simple et reproductible à l’envi. D’autant que la très grande majorité des parents ignorent tout des possibilités de choix de nom de famille (ou d’opposition en cas de désaccord…) ou encore du lien structurant entre nom et établissement de la filiation. Les services état civil, le plus souvent dépendants des maternités pour obtenir des informations ou en faire passer, ont besoin parfois de plusieurs jours pour vérifier les éléments à consigner dans chaque acte de naissance. À cela s’ajoute la très grande complexité du droit international privé et de sa prise en compte lors de la naissance en France d’un enfant issu de parents étrangers. Si l’officier doit veiller à informer au mieux les parents pour un choix éclairé, il est de sa responsabilité pleine et entière d’établir un acte authentique qui ne porte pas préjudice à un enfant étranger ou non. Il lui faut donc être sûr du prénom et du nom que l’enfant peut porter en application de la loi personnelle de ce dernier. Malgré les conseils donnés aux parents de se procurer au plus tôt un certificat de coutume qui établira les règles à observer, nombre de situations mènent l’officier d’état civil à contacter au dernier moment consulat ou ambassade pour obtenir les informations nécessaires. Or, prendre attache avec les corps consulaires ou avec le Parquet, analyser les situations complexes, laisser aux parents un délai de réflexion, nécessitent du temps. La limite des 3 jours se révèle tellement ténue que l’acte peut être rédigé faute d’éléments suffisants, en l’état des pièces remises par l’hôpital, par les parents et conduire à l’erreur. La sanction du non-respect de ce délai est tellement lourde de conséquences pour l’enfant – en l’absence d’acte, l’enfant n’a pas de droits sociaux, que l’officier d’état civil préfèrera rédiger un acte « faute de mieux », plutôt que de se retrouver hors délai et donc contraint de faire appel au Parquet qui saisira le TGI afin d’obtenir un jugement déclaratif de naissance. Dans une moindre mesure, l’officier d’état civil sait que les erreurs mineures peuvent être corrigées via une demande de rectification formulée auprès du Parquet. La mauvaise interprétation d’un texte, la faute de frappe, le défaut de contrôle, parfois liés au temps manquant eu égard au volume d’actes quotidiens à dresser, sont ainsi à jamais gravés dans l’acte et corrigés par une mention. Il est primordial pour la sécurité de l’état des enfants à naître que leur naissance soit au plus tôt enregistrée par l’État et que de cet enregistrement découle l’ouverture des droits sociaux. Cependant, il apparaît également que la précipitation dans laquelle certains agents travaillent pour décortiquer des situations de plus en plus complexes, ne participe pas à l’intangibilité, l’immutabilité de l’état civil, puisqu’en cas d’erreur, l’enfant est à peine né qu’il faut déjà modifier son acte de naissance. Et si l’INSEE a besoin de l’acte de naissance pour procéder à l’identification de l’enfant par l’attribution d’un numéro, la gestion des rectifications ultérieures liées à chaque acte comportant des erreurs génère également un travail considérable de mise à jour des données. Si le délai lié à la naissance pourrait être revu à la hausse pour donner davantage de souplesse d’organisation aux services état civil et permettre une meilleure sécurisation du processus de rédaction d’un acte, d’autres délais semblent peu respectés et devraient certainement être réévalués au regard de la pratique. 2. Les autres délais remis en question par la pratique… Lors d’un décès, les proches, l’établissement hospitalier ou encore les pompes funèbres ont l’obligation de le déclarer dans les 24 heures. La limite des 24 heures (hors week-end et jour férié) de délai pour déclarer la mort d’une personne procède de la même intention d’éviter toute dissimulation d’un évènement, en l’occurrence un décès, à l’État. Ce délai s’impose aux personnes qui ont l’obligation de signaler ce décès et non pas à l’officier d’état civil. Aussi, quelle que soit la date de la mort, l’officier d’état civil est tenu de dresser l’acte avec les éléments apportés par le déclarant. Il est ainsi fréquent de constater que les opérateurs funéraires, proportionnellement majoritaires par rapport aux familles, n’effectuent pas la démarche dans les 24 heures suivant le décès. Certes, les situations sont aussi diverses que pour les naissances. Ainsi, le temps que les familles se mettent en ordre de marche pour définir qui organisera l’inhumation, qu’elles recherchent s’il y avait un contrat désignant un prestataire pour les obsèques, qu’elles retrouvent les papiers nécessaires aux diverses démarches, tout cela sur fond de deuil, ne peut être circonscrit dans les 24 heures du décès. Ce délai semble, là encore, trop contraint pour être respecté quelles que soient les circonstances. En outre, il ne correspond pas non plus à la réalité des petites communes qui n’ont pas les moyens d’ouvrir un service état civil tous les jours de la semaine. Enfin, si des sanctions sont prévues par la réglementation, à moins d’abus dans ce domaine, le seul non-respect du délai ne fait pas l’objet de rappel à l’ordre par les Parquets. Un autre délai souffre d’une approximation récurrente : il s’agit des 3 jours pour apposer une mention. Cette limite est imposée pour assurer une actualisation rapide des actes face à la multitude croissante de décisions judiciaires ou administratives et d’évènements qui influent sur l’état des personnes. Mais là encore, le délai semble irréaliste et met à mal la sécurité des actes délivrés. En effet, certaines communes expliquent que faute de personnel, la mairie n’ouvre pas tous les jours ou bien que le temps que le courrier arrive jusqu’à l’agent concerné et formé, il s’écoule bien plus de trois jours. Enfin, pour les collectivités gérant un état civil important, il n’est pas toujours aisé d’être à jour de toutes les mentions. La complexité vient alors de l’inadéquation régulière entre le volume considérable de mentions (plusieurs dizaines de milliers par an) à apposer et le nombre d’agents titulaires et formés à cette tâche. Apparaissent alors certaines pratiques de traitement en priorité de certaines mentions (décès, mariage, divorce) au détriment des autres pour tenter de minimiser le risque de délivrance d’un acte omettant une information « importante ». La plateforme d’échanges de données COMEDEC devrait permettre à moyen terme d’aider à une meilleure réactivité des services état civil pour le traitement des mentions. L’échange devrait en effet offrir la possibilité d’insérer directement dans les bases informatisées le texte de la mention associé au bon acte. En revanche, la procédure d’écriture sur le registre demeurera et la tâche incombera toujours à un officier d’état civil, ressource parfois rare dans les communes. En revanche, pour ce qui relève des délais de déclaration de naissance, comme de décès, une réflexion par ce biais pourrait remettre en question la sécurité des actes et l’information des parents au cœur de l’organisation des services état civil, dans une période où la quête de marges de manœuvre oblige les dirigeants à penser en termes de productivité… Sources :