Bertrand Martin : « Avec le zéro phyto, nous passons d’un cimetière froid et minéral à un cimetière-parc »
La loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l’utilisation ds produits phytosanitaires sur le territoire national, dite « loi Labbé », oblige toutes les collectivités à gérer les espaces verts publics en zéro phyto. Et depuis un arrêté du 15 janvier 2021 (voir notre article Cimetières, enfin la réhabilitation des pâquerettes !), cette mesure s’étend aux cimetières et terrains de sports. À Rennes, les trois cimetières – qui représentent au total 30 ha – se passent d’insecticide, de fongicide et de désherbant depuis plusieurs années. À la direction des jardins et de la biodiversité de la ville, Bertrand Martin partage son expérience sur la mise en place d’une gestion plus naturelle de ces espaces.
À partir du 1er janvier 2022, tous les cimetières communaux devront être en gestion zéro phyto. Rennes s'est engagée sur le sujet depuis quelques années : comment ça fonctionne ?
À Rennes, nous avons commencé à réfléchir sur l’aménagement de l’espace public sans pesticides à partir des années 1990. Depuis 2005 tous nos espaces verts en ville, sauf terrains de sports et cimetières, sont gérés sans pesticides. Sur ces deux dernières typologies, nous avions alors expérimenté les techniques alternatives aux intrants chimiques et mis en place des carrés tests à partir de 2010. Cela pour voir comment il nous était possible de faire face à ce changement de technique. Il s’agissait également de commencer à sensibiliser les usagers. En 2011, Rennes a basculé en zéro phyto sur l’ensemble du territoire en gestion. Pour nous, cela s’inscrivait dans une logique de gestion de nos espaces avec le moins d’impacts sur l’environnement. La revalorisation des déchets verts est un des leviers, la réduction de la consommation de l’eau, l’utilisation de plantes locales aussi. En fait, nos actions convergent pour que notre cadre de vie soit le plus sain possible.
Techniquement, lorsqu’on arrête le désherbant chimique, l’herbe se développe très rapidement. Or pour les cimetières, nous n’avons pas d’engins mécanisés pour passer entre les tombes. Et pour les usagers, l’enherbement mal maitrisé trahit un laisser-aller de l’entretien. Au-delà de la réalisation de travaux d’adaptation de nos cimetières, nous avons mené une campagne de sensibilisation. Elle a permis d’expliquer que ces nouvelles pratiques n’étaient pas un abandon des cimetières. Nous passions du cimetière froid et minéral à un cimetière parc. Pour favoriser l’adhésion à ces nouvelles pratiques, nous avons mis en place des marches exploratoires et un livre à disposition des visiteurs. Beaucoup de personnes ont répondu présentes. Dans la plupart des cas il y a eu une compréhension du problème et une acceptation de la démarche. Aujourd’hui, les usagers ont tout à fait intégré ce changement et peu de plaintes nous arrivent.
Concrètement, que va changer cette gestion différenciée des espaces verts pour les cimetières ?
La force des désherbants était de pouvoir assurer le zéro enherbement dans les cimetières. Or si on suit la dynamique végétale, on peut se faire déborder très rapidement, d’autant plus que des périodes météorologiques favorisent la nature. Ce sont à ces moments qu’il faut intervenir massivement et renforcer le personnel. On peut faire du cimetière un lieu de vie et un poumon vert de la ville. À Rennes, le cimetière de l’Est fait 16 ha. Donc plutôt que de vouloir contrôler la nature, on va orienter l’enherbement et le maîtriser.
Partout où la gestion de l’herbe est mécanisable, on va favoriser l’enherbement et assurer des fonds de forme suffisamment solides et drainants pour que l’eau s’évacue, comme par exemple pour les allées [NDLR : un fond de forme est une surface terrassée pour accueillir une couche supérieure, par exemple un revêtement]. Mais il faut au préalable réaliser une expertise du terrain, pendant laquelle on regarde et on observe la nature se développer naturellement, voir jusqu’où l’enherbement est accepté. Et ensuite on réfléchit à des aménagements de paysages qui permettent d’associer qualité esthétique, facilité d’entretien et usage par tous les temps. Quant à l’entretien entre les tombes, nous intervenons avec des engins de type débroussailleurs à dos. Il faut prévoir trois interventions par an, en avril, courant juin et fin août, voire début septembre. Pour cela nous faisons appel à des entreprises, pour nous aider à faire face aux pics de végétation. Il est important de ne pas se laisser déborder même si malgré tout, quelques jours par an, la nature sera la plus forte. Il ne faut pas le percevoir comme un abandon, mais accepter de travailler avec la nature. L’erreur serait de vouloir se croire plus fort et de vouloir lutter. C’est à mon sens la mauvaise solution, aussi bien d’un point de vue économique qu’humain.
Est-ce qu'on peut parler d'éco-cimetière ?
C’est difficile de parler d’éco-cimetière, dans la mesure où les pratiques de conservation de corps interrogent sur la pollution des sols. Cela étant, pour être en conformité avec la réglementation et s’orienter vers des espaces paysagés dans les cimetières, je recommande plusieurs actions. La première chose est de rassurer les gestionnaires de cimetières et les agents des services techniques en leur disant que c’est faisable. Je les invite à se rapprocher des autres communes qui l’ont déjà fait.
Ensuite, il faut comprendre que ce n’est pas un gain économique, et qu’il faut prévoir entre 10% et 20% de temps supplémentaire pour la gestion de ces espaces. Ce temps-là doit être appréhendé et intégré dans les futurs modes de gestion. Mais en accompagnant la nature, plutôt que de vouloir lutter contre elle, cela devient acceptable financièrement. Et pour faire face au développement de l’herbe, on peut aussi faire des actions citoyennes, en invitant par exemple les usagers du cimetière à participer au cadre de vie. Ainsi, certaines communes en ont fait un moment convivial qui se termine par un repas.