L’établissement de la filiation post mortem toujours impossible en France
Juan Manuel Fangio, quintuple champion de Formule 1, décédé depuis une vingtaine d’années et qui n’avait jamais reconnu d’enfant de son vivant, a finalement bien une descendance. En effet, au mois d’août dernier, son corps a été exhumé et une expertise ADN a permis à la justice argentine de confirmer la filiation du coureur automobile avec M. Oscar Cesar Espinoza. Un second fils potentiel attend à son tour les résultats de l’expertise ADN.
Une telle solution semble difficilement envisageable en France. Le deuxième alinéa de l’article 16-11 du Code civil prévoit en effet qu’« en matière civile cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort ». Cet article pose donc le principe de l’interdiction d’opérer des tests génétiques dans l’objectif d’établir une filiation sur une personne décédée, sauf si son accord a été donné de son vivant. Ceci résulte de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique et vise à réduire très fortement le recours à l’analyse génétique post mortem et même, dans certains cas, à rendre impossible l’établissement d’un lien de filiation. Cette conséquence a ainsi fait l’objet d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) mais aussi devant le Conseil constitutionnel il y a quelques années. À noter que deux droits s’opposent dans ce cadre. Si ce principe vient protéger le droit au respect dû aux morts, il peut entrer en conflit avec le droit de reconstituer sa filiation. Ainsi, on peut se demander si une évolution est envisageable, d’autant plus que la Cour européenne considère désormais que le droit de retrouver ses origines est un droit de l’Homme. En effet, dans l’arrêt Pascaud c/ France, rendu par la CEDH le 16 juin 2011, l’impossibilité de faire établir sa filiation biologique est considérée comme une violation du droit à la vie privée et familiale. Si la cour considère que cette disposition a bien pour objectif la protection de la sécurité juridique et du droit au respect de la vie privée du défunt concerné. Cependant, en l’espèce, cela enlevait au requérant tout moyen de faire établir sa paternité biologique. C’est pourquoi la CEDH a condamné la France en raison du caractère non-proportionné de la disposition et donc de l’atteinte injustifiée au droit au respect de la vie privée subie par la requérante, ce droit étant protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Depuis, la cour rappelle que « le droit de connaître son ascendance se trouve dans le champ d’application de la notion de vie privée ». Différents arrêts pris entre 2010 et 2012 viennent confirmer cette position. Cependant, cette jurisprudence européenne ne semble pas suivie d’effet pour le moment puisque le principe posé par la loi de 2004 demeure. En outre, le Conseil constitutionnel a jugé, dans le cadre d’une QPC en septembre 2011, que l’alinéa 2 de l’article 16-11 du Code civil est bien conforme au principe du droit à la vie privée protégé par la Constitution et ne s’est donc pas aligné sur la position de la Cour. Sources :
- C. civ., art. 16-11
- Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique
- CEDH, 16 juin 2011, Pascaud c/ France, n° 19535/08
- Cons. const., 30 septembre 2011, n° 2011-173 QPC