Le rôle de l’officier de l’état civil dans le choix des prénoms
Le prénom est un élément d’identification permettant de distinguer les personnes d’une même famille. L’attribution d’au moins un prénom est donc obligatoire sans qu’une limitation dans le nombre soit fixée par les textes. Depuis une loi du 8 janvier 1993, les parents jouissent d’une assez grande liberté dans le choix des prénoms, ce qui peut parfois conduire à certaines dérives (1). Si l’officier de l’état civil qui reçoit la déclaration ne peut jamais refuser d’inscrire un prénom, il joue en revanche le rôle d’alerte auprès du procureur de la République lorsqu’il considère qu’un choix peut porter atteinte « au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille » ou être contraire à « l’intérêt de l’enfant ». Si le procureur suit l’avis de l’officier de l’état civil, c’est le juge qui se prononcera sur le maintien ou la suppression du prénom litigieux (2).
1. D’un choix restreint à une grande liberté des parents dans le choix des prénoms
À l’origine, le choix des prénoms était assez limité puisque la loi du 11 germinal an XI imposait que ceux-ci soient choisis parmi les noms d’usage des différents calendriers et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne. La loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le Code civil relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales a abrogé la loi du 11 germinal an XI en instituant, par la modification de l’article 57 du Code civil, le principe de la liberté de choix par les parents : « Les prénoms de l’enfant sont choisis par ses père et mère. La femme qui a demandé le secret de son identité lors de l’accouchement peut faire connaître les prénoms qu’elle souhaite voir attribuer à l’enfant. À défaut, ou lorsque les parents de celui-ci ne sont pas connus, l’officier d’état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille à l’enfant. » Cette liberté a entraîné ces dernières années une véritable explosion du nombre de prénoms différents donnés aux enfants. En effet, les parents ne manquent pas d’imagination pour modifier l’orthographe de prénoms existants voire même en créer par la « fusion » de 2 ou 3 prénoms par exemple. Ces pratiques peuvent parfois provoquer des dérives car certains parents ne se donnent plus aucune limite. L’article 57 donne dans ce cas la possibilité à l’officier de l’état civil d’intervenir : « Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales. » Même s’ils lui apparaissent contraires aux limites posées par le législateur, l’officier de l’état civil est tenu d’inscrire dans l’acte de naissance le ou les prénom(s) choisis par les parents, mais il peut informer le déclarant de son intention de saisir le procureur de la République compétent en raison du lieu où l’acte de naissance a été dressé.
2. L’appréciation de « l’intérêt de l’enfant »
Comment apprécier la notion d’« intérêt de l’enfant » sans que des considérations personnelles entrent en considération ? La rubrique n° 81 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation donne certaines indications quant aux situations qui pourraient amener l’officier de l’état civil à informer le procureur :
- prénoms ayant une apparence ou une consonance ridicule, péjorative ou grossière, ceux difficiles à porter en raison de leur complexité ou de la référence à un personnage déconsidéré dans l’histoire, ou encore de vocables de pure fantaisie ;
- la préservation du droit des tiers à voir protéger leur nom de famille conformément aux principes dégagés par la jurisprudence ; ne peuvent ainsi être choisis comme prénoms, des noms de famille dont l’usage constituerait une usurpation ;
- les règles de dévolution du nom de famille : il ne peut être attribué à l’enfant comme prénom le nom du parent qui ne lui a pas été transmis.
On peut ajouter à ces directives le résultat péjoratif dû à la combinaison de prénoms entre eux ou de la combinaison avec le nom de famille. Une fois saisi, le procureur peut ne pas donner suite au dossier ou alors engager la procédure en suppression du ou des prénoms concernés. Dans ce cas, il saisit dans les meilleurs délais le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de son siège afin d’ordonner la suppression des prénoms contestés sur les registres de l’état civil et de voir attribuer à l’enfant un ou des nouveaux prénoms. Si le juge aux affaires familiales considère que le prénom est contraire à l’intérêt de l’enfant, il demandera aux parents d’en proposer un nouveau ou, à défaut, en choisira un. Cette décision peut faire l’objet d’un appel de la part des parents. Cet appel pouvant aboutir,, comme le prouve certaines décisions de cours d’appel. Si Titeuf a été supprimé car il faisait référence à un personnage de bande dessinée préadolescent naïf et maladroit, Mégane a été maintenu pour un enfant ayant Renaud pour nom de famille car les juges ont estimé que le modèle de voiture « Mégane Renault » serait rapidement oublié, empêchant un rapprochement défavorable à l’enfant. Dans le même esprit, la cour d’appel de Rennes a accepté le prénom Canta car « il n’est pas manifeste que ce prénom évoque encore longtemps l’image d’un meurtre commis par une personne dont le nom se prononce de la même façon ». Si la décision du juge est acceptée par les parents ou, en cas d’appel, confirmée par la cour d’appel ou la Cour de cassation, elle fera l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance de l’intéressé(e). Dans tous les cas, l’officier de l’état civil doit faire preuve de diplomatie avec le déclarant pour essayer de démontrer que le prénom choisi peut être difficile à porter par l’enfant et éviter une issue judiciaire. Si le déclarant n’est pas le père, il faut absolument essayer de contacter les parents pour en discuter avec eux et voir si un changement de prénom est envisageable. Quelle que soit la décision de ces derniers, l’officier de l’état civil doit l’accepter et engager la démarche qu’il estime nécessaire. Sources :
- C. civ., art. 57
- Nouvelle IGREC, n°s 72 et s.